Premium Beauty News - Quelle est la situation actuelle en matière de réutilisation du plastique ?
Julien Tremblin - Aujourd’hui, il y a une inadéquation flagrante entre les engagements des marques et la volonté des législateurs, d’une part, et la disponibilité réelle du plastique recyclé, d’autre part. Des marques font le choix d’utiliser du contenu recyclé et, dans le même temps, plusieurs pays européens commencent à rendre obligatoire l’utilisation des plastiques recyclés. On a des engagements élevés, avec d’importants taux d’incorporation de recyclés. Résultat, la demande explose.
C’est une volonté sincère et indiscutable d’améliorer les choses. Mais tout cela est déconnecté de la réalité des quantités de plastiques recyclés vraiment disponibles. Dans son rapport Plastics - The Facts 2022, Plastics Europe indiquait qu’en 2021, seulement 5,5 millions de tonnes de plastique recyclé avaient été incorporées, soit seulement 9,9% de la consommation européenne de plastique.
Premium Beauty News - Pourquoi un tel découplage entre l’offre et la demande ?
Julien Tremblin - Le problème vient d’abord de la concentration de la demande sur un petit nombre de matériaux. Les plastiques réintégrés dans les emballages sont souvent du PET ou du PEHD. Autant de plastiques qui ont beaucoup d’autres usages et sont donc recherchés par de nombreux industriels. En parallèle, l’augmentation du coût de l’énergie en Europe, en raison de la guerre en Ukraine, a un impact direct sur le coût du recyclage.
On voit donc se dessiner un scénario noir. Aujourd’hui un recycleur n’a aucune raison d’aller chercher une matière peu demandée. Mais les matières les plus recherchées (aluminium, PET) deviennent toujours plus chères. Une fois les coûts énergétiques pris en compte, l’intégration de contenu recyclé apparaît de moins en moins viable.
Pour rendre l’équation économique plus avantageuse, en faveur du recyclé, le Royaume-Uni a instauré une taxe plastique (un malus), sur les produits qui n’ont pas 25% de contenu recyclé. Mais aujourd’hui, la situation est telle que cela ne sera pas forcément suffisant pour contrebalancer le surcoût de la matière recyclée. Plus généralement, le problème de ces taxes est que les recettes ne sont pas forcément affectées au développement de capacités de recyclage supplémentaires.
Premium Beauty News - Le recyclage chimique et, à terme, le recyclage enzymatique devraient permettre d’augmenter les quantités de matériaux disponibles ?
Julien Tremblin - Le recyclage chimique peut être intéressant, le problème est qu’il n’est pas encore disponible à grande échelle et que le chauffage réduit beaucoup les rendements. Le recyclage enzymatique est une technologie prometteuse, mais qui n’est pas encore déployée à l’échelle industrielle.
Aujourd’hui, on assiste même à une baisse des taux de recyclage dans certains pays, et la part mondiale du plastique recyclé est en baisse dû à une production de matière vierge toujours plus importante !
Premium Beauty News - Quelles seraient les solutions à court terme ?
Julien Tremblin - Je crois que la première façon de résoudre le problème est d’oublier la « mentalité vierge » qui anime actuellement la conception des emballages, et qui repose sur une abondance de ressources bon marché. C’est un changement de paradigme qui consisterait, par exemple, à commencer à concevoir les emballages en circuit fermé.
Beaucoup d’emballages cosmétiques ne sont pas en PET ou PEHD, mais utilisent d’autres matériaux – comme l’ABS – pour lesquels il n’existe aucune filière de recyclage, en raison de coûts de collectes considérés comme trop élevés. Pour ces matériaux, nous encourageons les entreprises à créer des boucles fermées. La première étape est de discuter avec un recycleur pour lui demander s’il serait capable de recycler un matériau précis si une source était disponible. Une fois l’accord obtenu, les fabricants sont sûrs de disposer de la matière recyclée nécessaire et auront évité l’enfouissement ou l’incinération de matériaux plastiques « moins désirables ». Nous avons déjà mis en place de nombreux programmes de collecte en points de vente avec des entreprises de cosmétiques.
Une autre solution consiste à concevoir les emballages directement à partir des déchets. Ce concept est similaire au précédent mais n’est pas une boucle fermée. L’idée est de travailler avec les centres de recyclage pour trouver une source de déchets qu’ils ne recyclent pas mais dont les propriétés correspondent aux caractéristiques de l’emballage qui doit être conçu, ou alternativement de s’approvisionner soi-même. Une possibilité est de se concentrer sur la collecte de déchets ayant une histoire identifiable et dont on peut par conséquent retracer l’origine (déchets sauvages ou marins par exemple).
Premium Beauty News - Dans tous les cas, il apparaît évident que le recyclage n’est pas une solution miracle ?
Julien Tremblin - C’est un message important à faire passer ! Le recyclage est essentiel mais on sait très bien que si on veut changer la donne, il faut mettre en place de nouveaux modèles économiques permettant de passer du jetable au réutilisable. Il faut augmenter les taux de réemploi dans tous les domaines ! Certaines solutions sont spécifiques à l’industrie de la beauté, d’autres sont plurisectorielles et disponibles à l’échelle globale. C’est notre ambition avec la création de Loop, notre division de réemploi des emballages. D’autres initiatives sont mises en place par les distributeurs.
Ceci étant dit, nous ne pouvons ignorer l’importance de réduire le déchet à la source. Nous devons tous voter pour un avenir meilleur en consommant moins, en tout cas, différemment.