Walt Disney et la banque JP Morgan, entre autres, ont ainsi été accusées d’avoir acheté des crédits carbone issus de projets de protection de forêts alors que ces dernières n’étaient pas menacées. Dans une autre affaire, c’est une entreprise chargée d’exploiter 600.000 hectares (la moitié de l’Ile-de-France) aux États-Unis qui aurait reçu 53 millions de dollars en deux ans pour des crédits qui n’ont pas vraiment changé la manière dont les forêts étaient exploitées.
Dans les deux cas, les crédits carbone vendus par les exploitants ont donné l’illusion aux entreprises qu’elles protégeaient des arbres, qui par la photosynthèse absorbent du carbone, alors qu’ils ne risquaient pas d’être abattus. Aucun carbone supplémentaire n’a été absorbé, mais les entreprises concernées ont pu ainsi compenser les émissions issues de leur activité et réduire leur bilan carbone.
Les crédits carbone en débat
Coprésidé par la France et le Gabon, le One Forest Summit qui se tient du 1er et 2 mars à Libreville, doit permettre de réfléchir à l’amélioration de ces instruments.
Les crédits carbone sont déjà massivement utilisés et selon différentes estimations, le nombre de tonnes de CO2 correspondant (un crédit = une tonne) pourrait être décuplé d’ici à 2030, à environ deux milliards de tonnes.
« Le côté risqué de ce marché, c’est qu’il ne s’autorégule pas », explique à l’AFP César Dugast, du cabinet Carbone 4. « Tout le monde a intérêt à maximiser la quantité de crédits carbone. Le porteur de projet parce qu’il sera ainsi capable de diluer le coût total dans un maximum de crédits. Et l’acheteur qui souhaite des crédits à bas coût. Et les certificateurs ont intérêt à ce que les projets se multiplient ».
Mi-janvier, le Guardian, Die Zeit et une ONG ont révélé que plus de 90 % des crédits carbone certifiés par Verra, leader incontesté des certificateurs, pour des projets encadrés par l’ONU permettant d’éviter la déforestation (REDD+) étaient probablement des "crédits fantômes" ne représentant pas "de réelle réduction" de gaz à effet de serre.
Des conclusions rejetées par le directeur général de Verra, David Antonioli. Il affirme que les « projets REDD+ ne sont pas des concepts abstraits : ils apportent des bénéfices réels sur le terrain ».
Dans la foulée, le prix de la tonne de carbone pour les crédits liés à la protection de la nature a chuté, explique Paula Vanlaningham, responsable carbone à S&P Global. Au-delà des doutes sur la méthodologie des projets REDD+, les révélations ont ouvert un débat sur l’ensemble des crédits carbone. « Sont-ils les bons véhicules financiers pour mener à une transition plus juste ? Oui et non », répond-elle à l’AFP.
L’enjeu d’une vraie réduction des émissions
Plusieurs agences de notation indépendantes ont ensuite défendu leurs méthodologies, en avançant le besoin crucial de financements pour les projets.
« D’abord, nous regardons l’additionnalité du projet : aurait-il existé sans le financement du carbone ? Puis, nous regardons comment a été établie la trajectoire, on établit une hypothèse de ce qu’il se serait passé sans le projet », argue Donna Lee, cofondatrice de l’agence Calyx Global.
Le problème central des projets censés empêcher la déforestation est qu’il est, par définition, difficile de prouver que la déforestation se serait produite sans les financements. « Mais on peut regarder les scenarii de déforestation dans la région (...), les études scientifiques montrent que certains facteurs, comme la proximité d’une route, de populations ou la distance par rapport à l’orée de la forêt sont corrélés avec la déforestation », défend Donna Lee auprès de l’AFP, tout en admettant que des améliorations sont nécessaires. Mais surtout, les entreprises qui achètent ensuite ces crédits devraient être « plus transparentes », plaide-t-elle, en indiquant clairement d’où viennent les crédits et comment elles arrivent à réduire leurs propres émissions.
Car c’est bien là la clé pour atteindre la neutralité carbone en 2050 visée par l’accord de Paris.
« Il faut que le mot compensation soit abandonné au profit d’une logique de contributions », conclut César Dugast. En clair : oui, les entreprises peuvent financer les forêts, mais pas comme un passe-droit les autorisant à de pas réduire leurs propres émissions.