Au regard des premiers chiffres présentés par The NPD Group, les consommateurs découvrent la pratique du rechargeable et l’ont en partie adoptée. Les parfums rechargeables représentent actuellement 6% des ventes en Europe, et les recharges 1%. Une part modeste certes, mais qui a connu une croissance de 31% en 2022 par rapport à 2021.
« Les chiffres sont en gros deux fois plus élevés que cela en France et de la moitié de ces valeurs aux USA, traduisant une forte variation culturelle et géographique de la tendance. Mais globalement cela correspond bien aux déclarations des consommateurs vis à vis du développement durable, ils se disent prêts à faire des efforts. On sent qu’il y a une appétence pour le rechargeable, même chose du côté des marques. C’est logique car c’est LA solution. La voie royale pour concilier développement durable et luxe », explique Gérald Martines.
Diviser l’empreinte environnementale
De toutes les approches d’écoconception, la recharge présente en effet le potentiel le plus élevé en matière de réduction de l’empreinte environnementale des emballages. Il permet en première approximation, de diviser l’empreinte par le nombre de réutilisation d’un flacon et apparaît donc comme beaucoup plus efficace que le recyclage ou l’allègement.
« Le recyclage est capital, il ne faut pas s’en priver mais cela ne permet de récupérer que 5 à 20% de l’impact environnemental du produit. De même, l’allègement permet de gagner quelques dizaines de % au mieux. Alors que si l’on remplit ne serait-ce que deux fois un flacon, on divise par trois son impact. Il n’y aucun moyen autre que le rechargeable de gagner des pourcentages significatifs d’amélioration », insiste le consultant. « Si l’on regarde plus en détail, cette pratique coche plusieurs cases dans la réduction de l’impact environnemental : économie de la ressource en matière première, économie de la consommation d’énergie - et donc des émissions de CO2 - et réduction de la génération de déchets », ajoute-t-il.
Des freins à lever
La pratique se heurte toutefois à une réalité complexe. Le premier et principal obstacle est au fondement même de la société de consommation, qui encourage l’expérimentation et le zapping.
« Il y a des parfums iconiques au public fidèle, qui auraient tout à gagner à être rechargeables, les marques de niche se créent aussi sur cette logique d’encourager la fidélité, mais à l’autre extrémité il y a aussi le parfum zapping qui correspond à un usage, à une culture, à une envie d’expérimenter. Tous les consommateurs ne sont pas des ‘rechargeurs’ en puissance, on peut donc imaginer qu’il y aura une segmentation du marché. Je n’imagine pas une généralisation à court terme du rechargeable », souligne Gérald Martines.
Plus technique, le second obstacle se situe au niveau de la distribution. Le concept soulève, en effet, plusieurs problèmes logistiques.
« Le modèle le plus vertueux est celui de la fontaine, car plus la recharge permet de remplir un nombre élevé de flacons plus la réduction de l’empreinte est importante. Mais, outre qu’il ne fait sens que dans les environnements urbains denses, comment faire cohabiter plusieurs dizaines de fontaines dans un même point de vente ? Clairement, on ne peut pas généraliser ce système, pour l’instant, au regard du nombre de marques. Il n’y a pas la place. De plus, je pense que le système n’est pas mature, il y a encore du travail à faire sur la praticité », ajoute le spécialiste.
La recharge individuelle proposée au consommateur pose un autre type de problème. Elle implique le doublement des unités de produits en rayon et donc de l’espace. Une réalité à intégrer pour le distributeur.
« Nous sommes dans une période d’expérimentation. Il y a l’équilibre à trouver entre la part de la fontaine et de la recharge individuelle qui a l’avantage d’être très facile à acheter en e-commerce. En outre, pour être la plus avantageuse possible, la recharge doit avoir un volume important, 150 ou 200 ml, correspondant à plusieurs re-remplissages — un véritable engagement pour le consommateur », déclare le consultant.
Dernier point important, l’impact sur les fournisseurs et notamment sur les fabricants verriers de flacons, de pompes, décors, accessoires. « Ce sont eux qui ont le plus à perdre dans cette pratique », indique Gérald Martines. « La généralisation de la recharge va fortement impacter leur production. Si l’on recharge cinq fois, ils vendent cinq fois moins de flacons, de pompes, de capots, c’est une perte majeure. Pour l’instant nous ne sommes qu’au début du phénomène les ventes de recharges se situent autour de 1%, donc pour l’instant c’est insensible, mais c’est une considération à laquelle on ne pourra pas échapper d’ici quatre ou cinq ans quand on est un fournisseur de la parfumerie », ajoute-t-il.
Une pratique qui gagne des parts de marché
À ce jour, les parts de marché de parfums rechargeables restent faibles mais progressent rapidement et les lancements adoptant la solution se généralisent. Parallèlement, les ventes de recharges sont encore trop peu significatives pour exprimer une tendance et valider l’adhésion du consommateur dans le temps, mais là aussi la progression est rapide.
« Nous sommes au début d’un changement possible, il va falloir un an ou deux pour voir les choses prendre forme. Il est difficile de voir à quel rythme le marché va bouger, jusqu’où cette part va augmenter. Mon opinion est que la part du rechargeable pourrait à terme représenter le quart des ventes en Occident mais il va falloir s’adapter », prédit Gérald Martines.