« Dans le passé, S’Young Group était davantage animé par le double métier d’exploiter ses marques propres et l’assistance aux marques étrangères pour leur distribution en Chine », explique Juliette Duveau, co-fondatrice du cabinet de conseil The Chinese Pulse. Mais le groupe fondé en 2018 ne se contente plus de rôle de partenaire pour la distribution en Chine. L’an dernier, S’Young a acquis les marques françaises Pier Augé et EviDenS de Beauté.
« On peut prévoir que S’Young va intégrer les réseaux internationaux et les techniques de R&D de ces deux marques françaises, ouvrant la voie à l’international pour ses autres marques propres à l’avenir », poursuit-elle.
La consultante ajoute que ces prises de participation dans des marques internationales contribuent à faire monter en gamme l’image du groupe. Les marques propres de S’Young ciblent principalement le marché chinois de grande consommation avec une large clientèle située dans les villes moyennes. C’est le cas, par exemple, de Yunifang (御泥坊), qui compte plus de 10 millions d’abonnés sur Tmall. Grâce à l’acquisition de marques étrangères, le groupe pourrait cibler des clients plus aisés dans de plus grandes métropoles et pourrait développer des produits haut de gamme pour viser les marchés internationaux.
Peaux sensibles et marques de niche
L’an dernier, S’Young a également acquis la marque chinoise spécialisée dans la réparation cutanée Dermdoc (戴摩道克) auprès du groupe Hangzhou Songyang. Certains analystes ont observé que S’Young entrait ainsi sur les terres de Winona (薇诺娜), la marque du groupe chinois Bethany positionnée sur le traitement des peaux sensibles qui s’est classée dans le top 10 parmi les marques nationales lors du dernier festival de shopping de juin sur diverses plateformes de commerce électronique.
« Depuis 2017, le taux de croissance du marché chinois des produits de soin des peaux sensibles est supérieur à celui du marché global des soins de la peau, et il s’est renforcé, surtout après l’épidémie », note Juliette Duveau.
Selon le rapport 2022 Chinese Sensitive Skin Market Trend, publié par Taobao et T-mall, 45% de la population chinoise a la peau sensible, surtout des femmes dans la vingtaine et vivant dans des villes de niveau 2 et 3. À ce sujet, les principales demandes des consommateurs sont l’amélioration de la barrière cutanée, la réparation des rougeurs cutanées et l’anti-inflammation.
S’Young se présente aussi comme le pionnier du ’CP (Chinese Partner) model’. Il s’agit d’aider les marques internationales à se développer et à s’adapter au marché chinois, en fournissant une solution globale pour la marque, l’adaptation des produits, les ventes et les réseaux de distribution (online et offline).
Cette approche se différencie du ’Tmall partner model’ proposé par la plate-forme chinoise aux marques étrangères adeptes du commerce transfrontalier avec la Chine. « Alors que le Tmall partner model se concentre uniquement sur l’écosystème numérique de son propre groupe, S’Young peut fournir des canaux de vente diversifiés online et offline (centres commerciaux, magasins sélectionnés) », poursuit Juliette Duveau. Le groupe a d’ailleurs ouvert l’an dernier une boutique physique baptisée Shuiyangtang (水羊堂, ’le temple de S’Young’) à Changsha, offrant sur 300 m2 toutes ses marques ainsi que celles de ses partenaires.
Avec les marques qui lui font confiance via ce CP model (Kiko Milano, Fenty Beauty, Liérac...) S’Young se positionne plutôt sur un segment de niche plutôt premium. « Celles-ci détiennent une part de marché relativement faible par rapport aux marques établies. La concurrence sur le marché de Chine est rude Mais à mesure que les consommateurs chinois deviennent plus sophistiqués et recherchent l’expression de leur personnalité, des marques de niche dotées d’une identité et de valeurs pointues voient leur popularité grandir au point de défier les marques grand public qui ont tendance à réexaminer leur image de marque pour mieux répondre aux besoins de la jeune génération ».
Les multiples initiatives de S’Young sont toutefois accueillies avec réserve par la presse financière chinoise, qui pointe du doigt la baisse de rentabilité du groupe (coté à la bourse de Shenzhen) et la nécessité de trouver des relais de croissance sur un marché chinois devenu ultra-compétitif. « Le groupe va rester focalisé sur le marché chinois dans un premier temps », estime Juliette Duveau. « Le chemin est encore long avant son expansion à l’international ».