Reconstitution d’odeurs et parfums emblématiques font partie intégrante de la visite de ce patrimoine industriel situé aux portes de Paris, une des pièces majeures de l’empire développé par la maison L.T. Piver jusque dans les années 1970. La mise en perspective olfactive est l’un des points fort de ce concept imaginé par le département culturel de la Seine-Saint-Denis, Sophie Normand, experte en parfum et le studio olfactif Magique, spécialisé dans les expériences culturelles et sensorielles [1].
Dès 1869, la marque L.T. Piver établit l’une de ses usines à Aubervilliers, marquant pendant un siècle ce territoire au plan économique et architectural, tout comme par les effluves liés à son activité. Dans le cadre de cette visite patrimoniale et olfactive, Yan Vasnier, parfumeur-créateur chez Givaudan, a tenté de reconstituer cette odeur caractéristique qui imprégnait le voisinage par la création de l’accord Émanation aux notes animales, fumées, cuirées, goudronnées… Un deuxième accord Saponification évoque les senteurs propres liées à la savonnerie traditionnelle qui occupait tout un bâtiment.
Sophie Normand, nous guide chronologiquement dans l’histoire de cette marque de 250 ans d’existence qui a connu un fort développement et un pic d’activité début du 20e siècle. En témoignent les nombreux ajouts de corps de bâtiment au fil du temps. « La préoccupation constante, pour une maison positionnée haut-de-gamme, est de conserver cette unité architecturale comme une signature », souligne-t-elle en expliquant que la direction s’est installée pendant un temps sur ce site. L’image du luxe est effectivement prégnante dans les mémoires. À Aubervilliers, on se souvient encore des « Pivereuses », qui, en venant travailler ici, faisaient partie de l’aristocratie des ouvrières.
Le parcours chronologique à travers le site est l’occasion de humer trois parfums emblématiques de la maison, qui scandent la parfumerie moderne dont L.T. Piver est l’un des acteurs privilégié aux dix-neuvième et vingtième siècles. Au commencement, la cologne Reine des Fleurs est tout en naturalité, à l’image de son nom donné en hommage à la boutique originelle fournisseuse officielle du roi. Créée en 1885, la composition Héliotrope Blanc marque le tournant de la parfumerie de synthèse en retranscrivant une fleur dite « muette » grâce aux molécules de coumarine et d’héliotropine qui expriment leurs facettes amandées, vanillées et crémeuses. Enfin, dans son flacon Art Déco de 1889, le parfum Rêve d’Or appartient à la première génération des aldéhydés tout comme son célèbre contemporain le Numéro 5 de Chanel.
Les bâtiments aux briques ocre et rouge soutenus par des poutres métalliques et les passerelles que l’on emprunte ont été témoins pendant un siècle de l’effervescence de la maison L.T. Piver. Aujourd’hui moins présente auprès du grand public, la marque est cependant restée constamment appréciée par les amateurs de la parfumerie de niche ainsi que dans les pays du Golfe, qui apprécient la tenue de ses fragrances. Son histoire est loin de s’achever car la belle endormie, qui fêtera l’année prochaine ses 250 années, se relance aujourd’hui sous l’égide de Nelly Chenelat. Un renouveau à suivre.